chronique de l’abbé André Fouré
Le 25 juin 1827 l’archevêque, Son Altesse Eminentissime Gustave, Maximilien, Juste, Cardinal-Prince de Croy, entrepris de visiter son diocèse et voici que, procédant au classement d’archives rue des Bonnetiers, nous avons découvert cinq cahiers, format écolier, dont quatre écrits de la main même du Cardinal, notes rédigées au jour le jour, sans recherche de style, de caractère personnel, confiées par son auteur à l’un de ses grands vicaires, « comme à la prunelle de ses yeux, pour en faire l’usage que ce doit »… :
Nous voyagerons avec lui dans les doyennés de Buchy, Darnétal, Envermeu et Eu. Nous partagerons son intérêt aux paysages variés, même s’il nous faut peiner sur des « chemins montants, cahoteux, malaisés ». Nous ferons connaissance des autorités locales et des bonnes gens parfois agenouillés sur le bord de la route au passage de leur « Père en Dieu ». Nous entrerons dans les églises, les sacristies, les presbytères et les châteaux. Ici et là, nous entendrons Monseigneur et sa suite se lamenter sur des paroisses qui souffrent encore des conséquences de la Révolution.
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Aujourd’hui, en route pour Buchy. Départ à 2 heures… Cinq lieues à parcourir… Vingt minutes d’arrêt au Vert-Galant pour faire souffler les chevaux qu’on ne dételle pas, mais qu’on réconforte d’un peu de pain…
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Demain matin, messe entendue et affaires courantes expédiées, commencera la rituelle visite pastorale.
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Près de Longuerue, on passe auprès de l’ancien château du Besle et, à Saint-Denis-le-Thibout, « on voit deux ruines d’un château, dit de Charlemagne : on dit qu’il y a chassé et déjeûné ».
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A Auzouville-sur-Ry, Son Eminence est particulièrement flattée de l’hospitalité de Mme Quesnel, épouse du maire : dans sa belle demeure elle a tout préparé avec recherche et convié plusieurs prêtres du diocèse d’Evreux pour honorer le Primat de Normandie.
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Une ombre au tableau : au Héron, le château est le « fléau de la paroisse »… le propriétaire, pourtant marquis de Pommereu, a fait supprimer au curé, en guise de bienvenue à l’archevêque, la veille de la visite, le supplément de traitement que donnait la commune dont il est maire… il a fait travailler le jeudi de la Fête-Dieu et n’a pas hésité à transformer le presbytère en belles écuries… le pauvre curé a été relogé dans la maison de la Sœur… c’est passable, mais il n’y a pas de jardin… on foule les morts en entrant dans la maison et l’odeur incommode pendant l’été…
A Longuerue enfin, Monseigneur fustige sans ménagements un riche scandaleux qui exigeait avant tous les paroissiens les honneurs du pain bénit. Pour avoir la paix, il en interdit la distribution.
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Parmi les personnalités présentées au prélat viennent le maire, son Conseil municipal et le Conseil de Fabrique institué par le Concordat. Au yeux du Cardinal, que valent ces gens, au point de vue pastoral ?
Les maires
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Doyenné de Darnétal : 13 maires. 5 pratiquants. Celui du Héron, déjà rencontré, est franchement odieux. Ceux de Ry, Isneauville, Saint-Martin-du-Vivier, bienveillants, quoique indifférents. Celui de St-Léger-du-Bourg-Denis est venu pour la première fois à l’église à l’occasion de la visite pastorale. Quant à celui d’Auzouville, on ne le voit jamais…
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Conseillers municipaux
Dans les assemblées municipales on trouve ordinairement quelques pratiquants. Sont indifférents dans leur ensemble les conseillers de la Ville d’Eu, de Bois-Roger, Bosc-Bordel, Bois-Guilbert, Préaux, Isneauville, Saint-Léger-du-Bourg-Denis, Auzouville-sur-Ry. A Ry on est quand même bienveillant… A Catenay le Conseil vaut le maire : tout ce monde « n’est bon à rien ».
Conseillers paroissiaux
On devrait avoir le préjugé favorable sur la valeur religieuse de ces notables spécialisés dans l’administration temporelle de la paroisse… Ils sont souvent à l’image des conseillers municipaux…
Ici et là on s’abstient totalement du devoir pascal, auquel tient très spécialement le Cardinal… A Ry, à Préaux, un seul fait ses pâques… A Longpaon également et l’archevêque note sur un ton désabusé : « Dans cette paroisse, impossible d’en trouver d’autres qui les fassent »…
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Maîtres d’écoles
Auxiliaires des curés, ce sont ordinairement de bons chrétiens. Les compétences pédagogiques laissent souvent à désirer et d’ailleurs l’assiduité des élèves est loin d’être parfaite : « A Saint-Nicolas-d’Aliermont, ils sont effroyablement ignorants : dès qu’ils ont fait leur Première Communion, ils vont dans les fabriques d’horlogerie et n’apprennent plus rien ». Fâcheuses exceptions : « Incapables ou bons à rien les maîtres de Penly, Rebets, Saint-Aubin-Ie-Cauf, Longuerue et Boissay… Intéressé celui de Préaux… Mauvais celui d’Auzouville… Tourment de son curé celui de Baromesnil qui fréquente les bals… Indésirable celui de Mesnil-Réaume qui sera congédié ou celui de Bois-Guillaume qui tient cabaret… Difficile celui de Saint-Rémy-en-Campagne qui va partir à cause de son âge et surtout de son désaccord avec les chantres ».
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Pratique religieuse
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Dans bien des localités, on travaille sans nécessité ni permission le dimanche, surtout pendant la moisson, encore qu’à Saint-Denis-le-Thibout, « on réserve l’heure de la messe ». On danse trop, au gré de Son Eminence : à Saint-Léger-du-Bourg-Denis, tous les jours ; à Auzouville-sur-Ry, avec l’appui du maire et à Isneauville, pendant les offices, presque à la porte de l’église.
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A Saint-Nicolas-d’Aliermont, à Douvrend, à Eu, on est trop porté sur l’eau-de-vie, tandis qu’à Auzouville-sur-Ry, à Morgny, à Bois-Guillaume, il faut veiller sur la loi de l’abstinence.
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Les presbytères
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A Boissay, il tombe en ruines, mais on va en construire un neuf. A Auzouville-sur-Ry, la commune n’assure aucun entretien.